Chapitre 1 : Délire
Nous savons qu'il arrive. Ce gros front aux couleurs magnifiques sur les prévisions météo est sur le point de nous frapper, mais nous sommes prêts. Nous avons matossé toutes nos voiles et tous nos sacs d'un côté du bateau, le foc de tempête est prêt à être déployé. Nous avons déjà pris un ris et toutes les bouts sont a poste pour en prendre un deuxième. Cela arrive rarement, mais nous étions prêts un peu trop tôt. Le vent a tourné vers le sud, mais il a mis du temps à se lever. Au début, nous n'avions que 8 nœuds, puis 10 et 15, avant d'atteindre lentement 18 nœuds, mais il est resté à ce niveau pendant plusieurs heures. Finalement, il est passé à 20, 22, puis 25 nœuds. Il était temps d'enrouler le J2 et de déployer ce fameux foc de tempête, de virer de bord pour traverser le front perpendiculairement et le dépasser le plus rapidement possible. Nous nous dirigions alors plein ouest vers la bande noire qui approchait. Le vent est passé de 25 nœuds à 27, puis à 30. Ça y est, nous étions dedans! La mer se forme, la pluie commence à tomber. Les nuages s'assombrissent. Malheureusement, notre pilote automatique ne fonctionnait pas aussi bien que nous, nous avons donc pris des tours, 40 minutes chacun, en alternant la barre ou en nous allongeant à l'intérieur du bateau. Nous avons fait cela pendant environ 7 heures. Nous étions épuisés. Les conditions à la barre étaient délirantes, la pluie horizontale vous frappait le visage, les vagues déferlaient sur le bateau, le sel dans les yeux faisait pleurer. Et on voit le bateau escalader ces monstres de 5 mètres, puis s'écraser violemment de l’autre côté. Le bruit était terrifiant, tout vibre jusqu'au plus profond de vos os. “Le bateau va exploser, c’est pas possible!” Me disais-je. Et cela se répètait encore et encore et encore, sous la pluie, sous un ciel noir. Un décor hollywoodien parfait.
Après la 7ème heure, voilà que nous nous retrouvions dans ce qu’on pensait être la fin du front : le vent a soufflé à 45 nœuds pendant environ cinq minutes. C'était terrible. C’était l’anarchie, le bateau se couchait en haut de chaque vague, la mer était déchaînée. Et juste après, tout s'est calmé. Szabi et moi nous sommes regardés avec un grand sourire : nous avons survécu! C'était fini.
Mais non. Ce n'était qu'un petit répit dans ce qui allait être une bataille de résilience de 48 heures.