Claudie Haigneré, marraine de la TRANSAT CAFÉ L'OR

"Dans l’espace ou sur l’eau, on se sent faire partie de l'humanité." Claudie Haigneré, marraine de la TRANSAT CAFÉ L'OR

Édition 2025 07 avril 2025 - 09h15
400 kilomètres séparent l’océan de l’espace. Si loin et pourtant si proches, leurs points communs sont bien plus nombreux qu’on ne l’imagine. Claudie Haigneré, première femme européenne à être allée dans l’espace et marraine de la 17è édition de la Route du café s’est volontiers prêtée au jeu de la comparaison. Pour l’astronaute, l’espace et la mer sont des biens communs que nous devons protéger.

Claudie Haigneré, vous êtes, cette année, la marraine de la TRANSAT CAFÉ L’OR Le Havre Normandie. Pourquoi avoir rejoint cette aventure ?

Claudie Haigneré : Vous savez, je suis née en Bourgogne, j’ai plutôt les pieds sur terre qu'en mer. Cependant, j’ai eu la chance d’assister à des départs de course au large, et à chaque fois, l’excitation procurée par ces moments intenses était partagée par tous ceux qui restent à quai, solidaires de cette aventure magnifique.

Ce qui m’a d’abord plu dans la TRANSAT CAFÉ L’OR, ce sont ces navigateurs, explorateurs des limites, qui les repoussent et les dépassent. C’est une histoire individuelle ou en équipage dans une alchimie collective, proche de notre préparation d’astronaute. Ensuite, nous partageons cette prise de conscience de notre connexion à un environnement qui nous dépasse, magnifique, fragile, parfois hostile, la nature, la planète et ses océans, l’espace. Et le troisième aspect qui m’a convaincue, c’est le village qui va accueillir la course. Pendant une semaine, les activités éducatives, les rencontres et les conférences, qui se tiendront au Havre, vont permettre de donner envie de comprendre, de se questionner et de stimuler notre capacité de curiosité et d’émerveillement pour vivre pleinement la TRANSAT CAFÉ L’OR.

 

Vous l’avez dit, avec l’organisation de la TRANSAT CAFÉ L’OR, vous avez toutes les deux un attachement commun pour la planète. A-t-on une vision différente sur notre environnement et nos écosystèmes depuis l'espace ?

CL : Le regard depuis l’orbite sur la terre (que ce soit celui des satellites ou l’œil de l’astronaute) pourrait se comparer à celui d’un ange gardien sensible et vigilant.  On admire sa beauté mais aussi sa fragilité, sa vulnérabilité à travers le hublot : la si mince couche protectrice de l’atmosphère permettant la vie, les tempêtes de sable, les cyclones, les éruptions volcaniques, les méga-feux. Certes, on fait le tour de la planète en 90 min, parce qu'on est à 28 000 km/h, donc on va un petit peu plus vite que les marins. Mais on a le temps de penser que notre Terre est comme un vaisseau spatial qui transporte notre humanité, dans son voyage dans le système solaire. On prend conscience de la finitude de la planète et de notre responsabilité en tant qu'équipage de ce vaisseau, de la préserver.

Nous avons une magnifique planète : la Terre, j’en étais déjà consciente au sol et encore plus convaincue en orbite. Le propos n'est pas de quitter A pour aller chercher une planète B où s’installer. Nous ne sommes pas là pour renoncer et fuir, mais pour préserver ce bien commun de notre humanité et comprendre notre chance exceptionnelle d’y séjourner.

Je suis heureuse de voir que pour la TRANSAT CAFÉ L’OR, cette thématique de responsabilité environnementale est mise en avant. C'est important que la prise de conscience de notre responsabilité ne se fasse pas obligatoirement par des règlements ou des discours politiques, mais qu’elle puisse être aussi une expérience sensible pour chacun. Quand on en parle depuis l'espace, quand on en parle depuis la mer, quand on en parle en témoignant de l'aventure humaine, avec nos émotions, notre regard, nos mots, je trouve que nous avons un impact bien plus important.

“Quand on en parle depuis l'espace, quand on en parle depuis la mer, quand on en parle en témoignant de l'aventure humaine, je trouve que nous avons un impact bien plus important.”
Claudie Haigneré, astronaute CNES/ESA et marraine de la TRANSAT CAFÉ L’OR
Cap pour Elles 2023

Pour vous, y a-t-il des points communs entre une mission dans l'espace et une course au large ?

CL : Tout d'abord, il y a déjà des points communs entre la mer et l'espace. Ce sont deux "territoires" hostiles à l’humain, peu explorés, encore moins en ce qui concerne l'océan. Les découvrir, c'est aussi une aventure scientifique. Les mers et l'espace sont des biens communs de notre humanité et on doit y être particulièrement attentif pour en continuer l’exploration de façon durable. Ce sont aussi des lieux qui exigent des outils technologiques très performants pour les maîtriser, tant dans l'ISS que sur ces bateaux de course ultra-performants embarquant matériaux, capteurs et technologies à la pointe de l’ingénierie. 

Quand on regarde la Terre depuis l'espace, c'est vraiment une planète bleue dont plus de 70% de la surface sont des mers et des océans. Nous devons préserver les océans, ces écosystèmes qui absorbent le gaz carbonique, fournissent de l'oxygène grâce au plancton et régulent les variations climatiques. N'oublions pas qu’ils sont sources de vie. Et la seule planète qui porte la vie, c'est la planète Terre.

On vous connaît astronaute et scientifique de renom, quels projets vous tiennent à cœur aujourd'hui ?

CL : Je suis en retraite « institutionnelle », même si je n’ai pas une retraite très calme ! J'aime transmettre à la jeune génération, à quel point la science et la technologie sont des outils essentiels dans la vie dont l’apprentissage nous éduque à la démarche scientifique, à la rigueur et l’excellence, et cultive notre esprit critique. C'est pourquoi je travaille avec la Fondation "La main à la pâte" qui accompagne les enseignants dans leurs activités scientifiques et technologiques pour les jeunes enfants. Ils seront d’ailleurs présents sur le village. Je suis très engagée aussi dans la Fondation L'Oréal auprès des jeunes filles pour qu'elles osent pousser les portes des carrières scientifiques et choisir leur vie. C'est un rôle que j'accepte volontiers, ayant été la première femme dans un environnement un peu masculin. Même si je ne suis pas une féministe militante, je m’engage pour que les femmes soient considérées selon leur talent et leur expertise, et qu’elles viennent enrichir nos sociétés et nos entreprises. Et c’est justement ce qui caractérise aussi les deux navigatrices du projet Cap pour Elles que je vais accompagner.

“J'aime transmettre à la jeune génération, à quel point la science et la technologie sont des outils essentiels dans la vie.”
Claudie Haigneré, astronaute CNES/ESA et marraine de la TRANSAT CAFÉ L’OR

En effet, cette année vous cumulez le rôle de marraine de l’édition et du projet Cap pour Elles. Vous avez été très active dans le jury lors de la phase de sélection, comment cela s’est-il passé ? 

CL : Il y avait beaucoup de candidatures, toutes très bonnes. Mais nous avons convergé, pratiquement à l’unanimité, vers celui d’Aina et Caroline car au-delà de leurs qualités de navigatrices et d’ingénieures, elles avaient une histoire à raconter avec passion et enthousiasme. Elles ont montré leurs valeurs, leur engagement et savent très bien le mettre en récit. Je suis très sensible aux narratifs qui peuvent nous inspirer et nous faire adhérer.

Ce qui m'a vraiment frappée dans leurs vidéos, c’est leur sincérité, leur générosité et leur joie. On sent qu'elles vont vraiment se faire plaisir, même dans les moments difficiles. Je trouve que cette flamme, c’est encore plus inspirant que de simplement dire je vais me dépasser. Elles cochent toutes les cases et ont cette étincelle en plus.

Aujourd’hui, Caroline doit quitter le projet pour des raisons personnelles et avec Aina, elles ont proposé Axelle Pillain. J'espère de tout cœur que l'alchimie qu'avaient Aina et Caroline, se retrouve dans ce nouveau duo, mais je ne suis pas inquiète. Axelle a toutes les qualités pour constituer un magnifique binôme et je souhaite bonne chance à Caroline

 

Comment allez-vous les aider ?

CL : C'est formidable de pouvoir accompagner ce désir de mer et de course au large auprès d’un équipage féminin. Même si elles ont déjà une belle expertise, elles n’ont peut-être pas encore toutes les clés que les plus aguerris ont accumulées par leur expérience et que nous souhaitons partager chacune et chacun à notre niveau.  Et ce n’est pas un projet qui se fait simplement sur un claquement de doigt. La préparation est longue, diversifiée.  Ce n'est pas rien de s’embarquer dans une carrière de marin ou d'astronaute. C'est un engagement complet, on change de vie. Il y a toute une équipe qui va les suivre pour trouver les bons relais, les bonnes solutions, pour fédérer les partenaires, pour les accompagner dans la logistique, la communication et l'entraînement, et bien sûr pour développer la confiance, monter en puissance et être au top sur la ligne de départ et pendant toute la course.

Révélation - JM Liot / Aléa
© Jean-Marie Liot / Aléa

Comme les skippers engagés, vous êtes en duo avec l’explorateur Matthieu Tordeur, parrain également de cette édition. C’est un bon binôme selon vous ? 

CL : Oh oui, je suis très heureuse d'être avec Matthieu. On est un joli équipage, complémentaire. Il faut le reconnaître, je suis plutôt une aventurière du siècle passé. Cette jeune génération qu'on a envie d'inspirer et d'accompagner, bien sûr on peut le faire par un type d’expérience, mais c’est encore mieux de l’incarner avec diverses aventures d’exploration sur différents territoires, toujours avec le désir de regarder au-delà de notre horizon de confort et d’être sensible à notre environnement pour le comprendre, le préserver et le transmettre. Matthieu est aussi un aventurier scientifique, avec beaucoup de valeurs, d’intelligence de situation et de savoir-faire, il aime transmettre et il le fait très bien. Il est très réactif sur les réseaux sociaux, dans sa manière de communiquer avec les jeunes, un peu comme un grand frère ou un ami qu’on admire. Je m’enrichis à son contact et cela m’aidera sans doute à mieux transmettre les étincelles.

Est-ce que cette nouvelle "fonction" vous donne envie de naviguer, de traverser l'Atlantique ?

CL : Vous savez dans l’espace on met 20 minutes pour traverser l’Atlantique, on va un peu plus vite que les marins ! J’ai déjà navigué avec Roland Jourdain, j’ai été la marraine de Marc Guillemot sur Safran. Pour le moment, je ne souhaite pas me lancer dans une navigation au large ou du moins en course. Mais j'ai évoqué la possibilité, peut-être, d’un convoyage retour puisque les bateaux ne seront pas ramenés sur cargos.
 

Et vous avez une préférence pour cette potentielle aventure ? 

CL : Le bateau d’Aina et Axelle bien sûr ! Mais ce n’est qu’une idée pour l’instant. Je pense surtout que c’est une chance exceptionnelle de vivre une telle aventure sur l’océan. On a alors cette capacité de prendre de la distance par rapport à notre condition d’individu empêtré dans les problèmes du quotidien. Le « plus grand que soi » nous donne la possibilité de s’élever et les occasions de grandir encore, en responsabilité et solidarité, en audace confiante et sans doute aussi en sagesse. On redevient humble par rapport à cette nature, cet environnement qui nous entoure et un au-delà de l’horizon qui reste mystérieux mais attirant. Que ce soit dans l’espace ou sur l’eau, on se sent faire partie de l'humanité.